L’art de s’habiller pour disparaître

Et retrouver sa liberté.

Hier, nous sommes allées voir l’exposition « Love Brings Love » au Palais Galliera qui rend hommage au créateur Alber Elbaz. Le nom ne me disait rien (oups !), mais je ne refuse jamais une proposition d’expo de B. Cela m’a rappelée à nouveau à quel point je suis profane en matière de mode. Moi, je connais plutôt le vêtement.

Me voilà arrivée avant elle, et bien sûr, je panique. Le péché de celui qui n’arrive jamais à l’heure — le manque de patience. Je suis toujours en retard. Je l’ai été hier aussi, mais pour mon sport que je comptais faire avant de partir. J’ai dormi 15 minutes de trop et j’ai dû sacrifier l’heure de fitness pour choisir tranquillement ma tenue. Car on ne va pas à une expo de mode habillé n’importe comment.

J’imaginais composer un look qui dévoile discrètement une sensibilité à la mode, comme un tissu japonais dont la complexité de son élaboration n’est pas immédiatement discernable. Un look résolument impeccable, un effortless-timeless-chic. Malgré toute ma bonne volonté, la perspective d’avoir froid a gagné contre la perspective de porter une tenue ultra stylée, et j’ai fini par mettre mon pantalon ample à taille haute jaune en coton épais et un pull assez court et bien chaud en mohair couleur menthe dégradé. Par dessus, ma p’tite veste en jean noir que « j’aime bieeen ». En réalité, je l’aime beaucoup, surtout qu’elle est volumineuse, rappelant la coupe des manches d’un kimono. Bref, j’ai fini habillée comme une glace à la mangue, vanille, menthe. Très loin de ce que je pensais faire.

Très étrange ce besoin de porter des vêtements qui s’accordent avec le lieu où je vais et l’activité que je vais faire. Depuis toute petite, c’est très puissant. Ma maman m’avait emmenée à des cours de ballet. J’étais toute contente de porter de belles robes de ballerine et apprendre cette danse si gracieuse, si fluide et sautillante. Imaginez mon malheur quand, une fois sur place, j’ai compris qu’on n’allait pas porter des tutus. Mon intérêt pour le ballet est mort sur l’instant.

Love Brings Love - Le défilé hommage à Alber Elbaz

Love Brings Love - Le défilé hommage à Alber Elbaz

Serait-ce chercher à imiter ou à faire paraître l’état d’esprit par le vêtement, comme si je changeais de peau ? On peut traduire cela par l’envie de jouer un rôle ou tout simplement par un amour inné pour le vêtement. Plutôt les deux, étant donné mon rêve de devenir comédienne et le métier de couturière de ma mère (et sa mère avant elle).

Je ne vivais pas ce besoin comme de la vanité. Je ne me sentais pas ostentatoire, je n’avais pas davantage envie de me montrer. Tout le contraire. Je voulais me fondre dans le paysage, bouger avec légèreté, disparaître et réapparaître à ma guise.

Love Brings Love — Le défilé hommage à Alber Elbaz

Je voulais me fondre dans le paysage, bouger avec légèreté, disparaître et réapparaître à ma guise.

Sans en avoir conscience, je cherchais l’expression de ma personnalité, et je faisais preuve de rébellion contre la dictature stylistique de ma mère. Je voulais à tout prix revendiquer ma liberté de m’exprimer et de respirer. Que je coure sur les collines à la campagne ou que je me balade dans la ville, tout est mille fois plus agréable quand je porte la bonne tenue.

J’ai davantage le sentiment d’attirer l’attention quand je porte les vêtements qui ne me correspondent pas. Je ne pense qu’à ça, une grosse tache sur un pull blanc en cachemire. Je m’étouffe, je me sens fausse, même si le vêtement tombe bien sur mon corps.

Tel l’acteur invisible de Yoshi Oida qui en apprenant à habiter son corps et l’espace disparaît derrière son personnage, créer cet accord me permet d’aller au-delà du vêtement, de sortir du mental et d’exister tout simplement, sans contrainte.

En réalité, ce n’est ni le lieu ni l’activité qui dicte le vêtement que je vais mettre. Certes, j’ai envie de porter une tenue « en accord », mais c’est un accord personnel. C’est se confondre avec sa tenue et habiller l’esprit du lieu.

Et puis, même quand on a envie de se cacher du monde, on peut le faire en restant stylé, n’est-ce pas ?

Paris, 16 mars 2022

Love Brings Love — Le défilé hommage à Alber Elbaz

This blog post was originally published on June 26, 2022, on Medium, titled Le Vêtement vs. La Mode

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